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La politique et la société à rebrousse-poil
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13 août 2011

Deep End, le film chois par le poil

Fin profonde et fond final

 

        Deep end de Jerzy Skolimowski

  


 

deep-end-afficheC'est l'histoire d'un mec, d'un jeune garçon de quinze ans à peine. C'est l'histoire de son immersion en eaux troubles, en eau glacée par ses obsessions d'ado. C'est la fin, ou plutôt le début d'une fin profonde, entraînant Mike (John Moulder Brown), ce jeune homme paumé et romantique, dans les abîmes du désir, de la découverte « macabre » de l’amour, de son spectre, et de son corps comme objet mercantile d’un monde où tout s’achète.

Présenté en avant-première ce lundi 27 juin (ironique pour ce chef d’œuvre de plus de quarante ans !) au cinéma Le Nouveau Latina, 20 rue du Temple à Paris, ce film de Jerzy Skolimowski emporte toute sensation viable avec lui, et nous emporte littéralement dans l’univers post Swinging London, à l’aube des seventies et vers sa Deep End.

 

Tout commence sur la musique de Cat Stevens « But I might die tonight », annonçant intrinsèquement la mort d’une chose à venir, de cette chose étrange que l’on devine sur la figure angélique de Mike. Dévalant une rue de l’Est londonien, une rue vide − comme le sera la piscine du Grand Bain public où il va être embauché – on ne peut que saisir toute l’ampleur d’une jeunesse encore vide d’expériences mais couverte d’une sensibilité et d’une timidité mal assumées.

 

Pas tant visuelle mais évidente pourtant, l’angoisse et l’obsession, en fond, ne quittent pas ce premier plan et tous les autres du film. Comment ne pas penser à Stanley Kubrick pour l’esthétique des plans d’une apparente sagesse mais d’une réalité « profonde ». On est ici dans cette Orange mécanique (nuance dominante dans le film, propre au années 70), dans un stylisme britannique où la Clokwork Orange (qui sortira un an plus tard) serait la rengaine de Cat Stevens en guise de Beethov’ et où la perversité du monde se manifesterait dans sa tentation de chaque instant.

On ne peut s’extirper de l’âme de Mike, on ne peut ressortir du film avant le générique final.

Chaque image est absolue, filmée comme une vérité première et divine, où cette âme, blessée et vierge pourtant, se colle à nos yeux pour nous conférer une place omnisciente, comme un témoin réel d’une fiction pourtant abstraite. Cette place, ce troisième personnage que nous campons dans notre fauteuil rouge, serait la conscience des personnages principaux, réunis, sans qui le film n’existerait pas comme un témoin de l’époque d’une ville et d’un moment d’une vie.

            Travaillant comme garçon de bain, dans une atmosphère « vaporeuse » et « liquide », le jeune homme découvre l’ambigüité des relations homme/femme, d’un lieu mixte portant les stigmates d’une révolution de mœurs et de genre ; Mike doit s’occuper des bains pour les hommes, Susan de ceux des femmes. Ils s’échangent leurs rôles selon les venues, devant « satisfaire » les clients. Notre jeune homme découvre alors (comme l’a découvert le Londres de la fin des années 60) la liberté des mœurs et des sexes ; il l’expérimente du bas haut de ses quinze ans et tombe en amour et se confond de désir pour sa collègue Susan (jouée par Jane Asher, compagne de Paul Mc Cartney dans les années 60), plus âgée que lui, dont la grâce légère, autant que sa sensualité obnubilante, ne finissent pas d’entacher sa pureté.

 

 

Susan est ainsi une sorte de loup pour Mike.

Avec son long impair plastifié jaune, et sa capuche la protégeant de la pluie londonienne peut-être autant que de la dure réalité de ce qu’elle est, elle symbolise l’histoire du petit Chaperon rouge, revisitée et inversée.

Le jaune, couleur lumineuse (soleil de Mike qui le dirige comme un tournesol), est aussi sur elle un jaune triste, symbole de l’adultère et du mensonge, caractérisant les frasques amoureuses de la belle. Comme associé au pouvoir (il est, dans la grande Histoire du monde, l’emblème de toute puissance, du roi Soleil aux empereurs de Chine), ce jaune chez Skolimowski est celui de l’égo et d’une vision du mal. Le chaperon jaune devient alors aussi coupable, manichéenne comme le loup, et en même temps victime d’elle-même comme la jeune fille.

 

Susan fait vibrer Mike, et les battements de cœur du héros rythment le film.

L’ambiguïté des rapports entre Mike et Susan, provoqués, amène à une interprétation psychologique. Aux sortirs de l’adolescence, Mike veut s’émanciper de la mère et du père.

D’ailleurs, quand ses parents viennent aux bains, la mère et Susan ne s’entendent pas. Mike donnera plus tard à Susan un pourboire faisant croire que cela vient de sa mère ; il tente de les rapprocher (de les assimiler?).

Il éloigne en quelque sorte le père (qui ressent une attirance pour Susan) à travers la figure de l’amant de Susan, le prof de sport. Eloignant le père et tuant la mère, nous le comprenons en toute fin, Mike représente tout le complexe œdipien des temps modernes.

        Il faut tuer le loup pour se libérer par le chao, la mort                 

Il y a là toute la complexité physique et métaphysique de l’entrée du corps et de l’esprit dans la vie active, sensuelle, sociale et professionnelle.

 

La « Deep end », cette fin profonde, est la fin de la candeur, de l’abysse de l’ignorance.

C’est l’oxymore caractéristique de la fin du début de vie de Mike. C’est le fond de la piscine, du grand bain public, où sont noyés les histoires d’amour dans un bassin déjà, ou toujours, vide de ces histoires.

 

Au lendemain du Swinging London, du Blow Up d’Antonioni (Skolimowski citera souvent Antonioni comme une référence) et emprunt de la première période du cinéma de Polanski (les deux hommes ont débuté leur carrière ensemble) pour les frasques du jeune héros perdu, Deep end est assurément un chef d’œuvre, travaillé comme une œuvre d’art , d’art visuel, sonore et intérieur, résonnant en nous comme les traces d’un parcours personnel.

Universel et singulier, Skolimowski nous a ainsi offert un film où l’on ne peut que plonger à cœur ouvert, ouvert sur nos sentiments, au risque de toucher le fond et la fin.

                       

 

                                                                                                                      

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