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La politique et la société à rebrousse-poil
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La politique et la société à rebrousse-poil
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24 mars 2013

Qui bashe bien, lynche bien

« Sont-ils-nuls ? », « Hollande, la capitulation », « Les cocus »…Des mots percutants, souvent simplistes et toujours exagérés. Des titres bêtes et méchants, ayant pour triste ambition de nous faire sortir quelques euros de notre poche pour remplir celle de cette presse mensongère et commerciale. Voilà le but ultime et pervers de cet exercice médiatique et journalier qu’on nomme nouvellement : le bashing.  Si ce mot anglais, qui signifie « cogner, frapper », donne une saveur très actuelle à cette pratique, son origine en un terme tout aussi anglais mais plus ancien,  « le lynchage », est symbolique et particulière. Cette expression ferait référence à William Lynch, ce juge américain qui mit en place des procès expéditifs contre des esclaves noirs, et qui aboutissaient souvent à une pendaison. Heureusement, nous n’en sommes plus là. D’autant que, la plupart du temps, le lynchage se dirige vers des personnages publics qui savent dans quel jeu de rôle ils se positionnent et qui ont fait l’apprentissage intellectuel de toutes sortes de critiques. Par effet de mode ou par effet de manche, le « bashing » devient utilisé pour qualifier toute sorte d’esprit critique à l’égard de toute sorte de chose. C’est ainsi que Fleur Pellerin, la ministre déléguée chargée des PME et de l'Innovation, a mis en garde jeudi contre le « french bashing », le dénigrement de la France, qui risque de porter atteinte à l'économie française.

Pour y voir clair dans ce que recouvre cet amusement général que diffuse la société et qui s’en nourrit, le poil a voulu entendre plusieurs échos, plusieurs sons de cloches…Et pas des moindre ! L’anthropologue Cyril Lemieux (en photo jointe), la philosophe Myriam Revault d’Allonnes (voir la photo jointe), le chroniqueur Nicolas Bedos et l’humoriste Sophia Aram avaient répondu à l’appel du grand Jean-Michel Ribes, directeur du théâtre du Rond-Point et de Fabienne Pascaud, directrice de rédaction du magazine Télérama, pour une soirée sur « Le goût du lynchage ».

 

Cyril-Lemieux

Chacun y est allé de son analyse sur l’influence des médias sur l’esprit échaudé du Français contrarié. Car tel est son image, celui d’un révolté constant qui râle plus qu’il ne sourit, sans faire de propositions positives ou constructives. Pour Cyril Lemieux qui citait Max Gluckman, un anthropologue fonctionnaliste du XXème siècle, le lynchage a trois fonctions principales. Il permet de rappeler aux citoyens les normes à partager, à respecter, de discuter entre eux pour connaître leurs points de vue. Le lynchage permet aussi de mettre en danger les dominants et d’éviter une assurance excessive de leur part, de ne pas tomber dans une sorte de totalitarisme gouvernemental. Enfin, il permet l’intégration des citoyens, le sentiment d’appartenance à un groupe en partageant les mêmes avis. Au-delà de cette explication spécifique, il permet tout simplement de garantir la liberté d’expression d’un peuple qui aujourd’hui peut partager son opinion grâce à internet, aux réseaux sociaux ou au monde télévisuel.

Le lynchage : pour qui ? Pourquoi ?

Cette liberté d’expression doit-elle être encadrée ? Sans ressasser l’éternel débat sur les limites de cette liberté qu’on ne finira jamais de redéfinir, on peut déjà affirmer que l’expression de chacun trouve sa fin là où l’intégrité physique ou morale est mise à mal chez la cible visée. Mais comment définir cette intégrité ? Elle est de l’ordre du ressenti pour l’essentiel même si on peut assurer que la méchanceté, la critique gratuite et haineuse est à prohiber. Ainsi, quand on parlait des talonnettes de Nicolas Sarkozy pour amuser les lecteurs et auditeurs sur son aspect physique et pour évoquer une métaphore sur ses qualités de présidents, on tombait dans le jeu trop facile d’une critique sale et bête. Lorsque la presse évoquait « sa Carla », aussi réductrice fut l’image de la première femme de France dans cette expression, la critique sur ce couple présidentielle était plus relative puisque c’était Sarkozy lui-même qui amenait sans cesse sa femme dans les discours qu’il prononçait. Se moquer de quelqu’un à travers ses propres dires semble moins gratuit et peut-être plus intelligeant.

Ce qui est moins intelligeant est de taper sur des anonymes, des personnes qui n’ont pas la possibilité immédiate de faire jouer leur défense. Un homme politique, instruit par ses assistants, conseillé par ses bras droits, pourra dans la demi-heure organiser une conférence de presse pour démentir les propos d’un journal d’envergure. En 24 heures, l’affaire pourra être régler, la personnalité en question aura répondu aux micros tendus et passera à une autre de ses affaires. L’histoire aura fait les choux gras des médias et peut-être bien même ceux de la personne visée. Un « monsieur tout le monde » n’a pas cette capacité d’encaissement qui vient avec l’expérience d’une vie publique. Pas de conseillers, pas d’assistant, pas de carnets d’adresses avec des numéros de journalistes…Pas de possibilité de rebondir. Monsieur tout le monde ne sera pas une « cible » mais une « victime » fragile qui, après s’être longtemps reclus chez lui, deviendra un inconditionnel des séances chez le psy.

 

Myriam-Revault-d-AllonnesLe lynchage est un moyen de sentir le pouls de la société, de constater son agacement selon la virulence des propos, leur fréquence et leurs cibles. Il s’exerce dans une société qui vit, qui bénéficie d’un système démocratique fort et dont les citoyens se sentent concernés par les évènements qui s’y passent. En cela, il offre un aspect positif d’un monde éveillé. Mais le revers de cette analyse est rude car le lynchage s’exerce dans une société où la déception est à son paroxysme, où les doutes et les incertitudes sont foisonnants. En ces circonstances, rien de plus évidents (et légitime ?) que de taper sur les responsables politiques. Evident et justifié puisqu’ils exercent des responsabilités politiques vouées à améliorer les conditions de chacun et qu’ils acceptent d’endosser ces fonctions.

Mais il faut resituer le « bashing » là où il s’exerce le mieux, avec le plus de violence et de grotesque. Il se trouve dans chaque titre des médias, dans chaque entête, chaque article et souvent entre les lignes pour qui sait le deviner. Imaginez une réunion de rédaction dans un journal national…Lundi Matin, 10h30.

« Bon, faut continuer sur Hollande. Marianne en a rajouté aujourd’hui. Libé aussi. Ça a bien marché pour eux. Faudra faire mieux, plus incisif, plus cinglant. Ressortez ses vieilles affaires qu’on avait traité les jours avant son élections. On avait bien vendu sur ces sujets. Et mettez une photo où il fait la gueule…Y’en a une où il fait la moue. Je l’aime bien. Mettez-là avec le mot « crise » dans le titre. Vu les sondages sur la méfiance générale, ça peut bien accrocher… »

De ces réunions bruyantes où chaque journaliste y va de sa remarque, il ne reste que des mots savamment choisis et alignés sur un papier de mauvaise qualité à qui l’odeur de l’encre donne le prestige des choses réservés aux érudits. Et avant de trouver une seconde vie dans le fond d’un foyer de cheminer, dans le bac d’une litière pour chat ou sur le bout de trottoir du sans-abri du coin, le journal plié et replié maintes fois aura alimenté les conversations de chacun et par là même, la grande marmite bouillonnante de l’esprit commun d’une société désabusée. Car ce sont les médias qui alimentent nos esprits critiques et même si le contraire est aussi vrai, il l’est dans une moindre mesure…Bien moindre.

Ainsi, nous n’aurions pas notre libre arbitre ? Je ne le pense pas. Nous l’avons intimement, spontanément mais il s’en trouve changé par la presse. A tort et à raison. Car même si elle nous influence dangereusement, elle nous fourni aussi toute l’information nécessaire pour se forger une opinion sur telle ou telle affaire. Et c’est d’ailleurs là que doit résider son rôle premier et essentiel. Pour le moment, je ne trouve en la majorité des journalistes que le rôle d’un lanceur de produit qui, à l’aide d’une rhétorique markéting, établirait un agenda artificiel avec les dates de mise en vente. Sans créer eux-mêmes l’information, ils la grossissent ou l’atténuent tant que le public accroche. Si le sujet lasse, ils change de cible et s’attaquent à un autre élus. Et ainsi de suite chaque semaine, chaque mois si le sujet fait recette.

A nous de vouloir ou non entrer dans ce jeu malsain ou d’en sortir selon notre libre arbitre. Pour ma part, je confronte les informations que je lis dans la presse avec celles d’autres journaux et je n’achète pas mon journal de référence si le sujet devient récurrent, commercial et son angle, vicieux. C’est une façon surement peu efficace de lire intelligemment comme il faut regarder la télévision avec réflexion. Facile pour moi qui n’en ai pas !

 

 

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